La collection Narration

Approche aristotélicienne et anti-aristotélicienne

Deux approches opposées

Concernant l’écriture de l’histoire — et donc du personnage principal —, on rencontre chez les auteurs deux approches souvent inconscientes qui s’opposent et engendrent deux types de films assez distincts.

La première approche aboutit à un film au rythme soutenu, à l’intrigue solidement ficelée, riche en rebondissements imprévisibles, mais où les personnages flirtent parfois avec les stéréotypes.

La seconde approche présente des personnages riches, charismatiques, ambigus, profonds, paradoxaux, sensibles, bouleversants, mais qui se meuvent dans un récit aux méandres parfois trop complexes, dans des intrigues — quand elles existent — tellement floues que sont inévitables les moments d’ennui et d’assoupissement du lecteur/spectateur.

Je désigne respectivement par approche aristotélicienne et par approche anti-aristotélicienne ces deux approches en référence au dramaturge et théoricien Aristote qui fait passer l’action, l’intrigue, avant le personnage dans sa Poétique.

Approche aristotélicienne

Cette approche, chère à Aristote, assujettit le personnage à l’intrigue, plie le personnage aux rouages de la mécanique du récit.

Selon cette approche, l’auteur définit une situation intéressante, un concept narratif fort et y plonge ses personnages. Les personnages sont alors judicieusement définis pour répondre le plus efficacement possible à la situation donnée.

Dans cette approche — plutôt anglo-saxonne ou asiatique — l’auteur définit ses personnages en fonction des situations. Pour caricaturer encore cette approche, on pourrait dire que si un personnage ne remplit pas au mieux son rôle pour la situation donnée, il est révoqué ou subit d’importantes mutations et transformations, tant au niveau de ses caractéristiques qu’au niveau de ses motivations.

Mais que l’on ne s’y trompe pas : un auteur inspiré et intelligent pourra tout à fait construire sur cette base, selon cette approche, un personnage riche et passionnant.

Approche anti-aristotélicienne

Je désigne par approche anti-aristotélicienne l’approche exactement opposée. Cette approche fait la part belle au personnage, en fait l’élément central du récit, l’élément primordial et moteur, la “chose observée” de l’histoire. Les situations, les actions, les rebondissements sont là pour révéler ce personnage, pour l’éclairer, pour nous faire connaitre sa singularité et nous livrer toute sa richesse.

Dans cette approche — plutôt française ou européenne —, l’auteur définit et modifie les situations en fonction du personnage qu’il veut nous faire connaitre. Ou pour le dire autrement : les situations émanent directement de l’idiosyncrasie du personnage, soit parce qu’elles en sont une conséquence, soit parce qu’elles sont les plus susceptibles de la révéler.

Pour caricaturer encore cette approche, on pourrait dire que si une situation ou une intrigue ne révèle pas suffisamment le personnage, cette situation ou cette intrigue est révoquée ou subit d’importantes modifications.

Avantages et écueils de chaque approche

Bien que ces deux approches ne soient pas incompatibles — loin s’en faut ! —, il est bon que l’auteur ait conscience de sa propre tendance naturelle, de son propre penchant naturel, afin de savoir éviter les écueils de chacune de ces deux approches opposées :

Comme on l’aura peut-être senti ou deviné, l’approche aristotélicienne peut conduire à une intrigue intéressante, certes, parfaitement ficelée, sans temps morts, mais où les personnages peuvent manquer de consistance, de chair et d’originalité, être trop proches du stéréotype.

L’approche anti-aristotélicienne, elle, amène souvent à des personnages forts, intéressants, riches et originaux, mais peuvent conduire à une intrigue inexistante, ou fragile, molle, lâche, errante, sans but bien défini.

Les préférences du spectateur/lecteur

De la même manière qu’il y a des auteurs pour chaque approche, vous rencontrerez des spectateurs et des lecteurs qui porteront leur préférence sur l’une ou l’autre des deux possibilités. L’un aimera un film “allant à cent à l’heure”, quand bien même les personnages ne seraient pas d’une grande pertinence ; l’autre appréciera un récit aux personnages forts et attachants, quand bien même l’intrigue l’aurait par moment laissé sur sa faim.

Moralité

On peut toutefois décider de recueillir l’adhésion de ces deux types de spectateurs et garder à l’esprit qu’une bonne histoire, ce qu’on a coutume d’appeler un “chef-d’œuvre”, intègre ces deux approches et réussit la miraculeuse alchimie de leur équilibre en présentant des personnages forts et inoubliables plongés dans une narration solide et captivante.