La collection Narration

Interroger l'histoire

L’histoire est finie quand on la commence

À l’heure des “cordes” et de la physique quantique, on peut se dire qu’une histoire existe avant même d’avoir commencé à l’écrire. Partez d’aujourd’hui, de ce jour où l’idée et l’envie vous est venue, et projetez-vous un an plus tard, ou peut-être deux. Dans un an, peut-être deux, si vous avez fait preuve de courage et de ténacité, alors cette histoire existe, elle est déjà achevée. Fermez les yeux et imaginez-la… Vous la voyez ? Vous la sentez ?… Toutes les intrigues sont ficelées, tous les personnages existent et les thèmes, même ceux que vous n’avez pas encore envisagés, sont tous développés.

Peut-être ne sera-t-elle pas une bonne histoire, aussi forte que vous l’auriez voulue, mais elle existe, il faut en avoir la certitude et la conviction. Dans le cas contraire, il est inutile de vous lancer dans cette aventure émotionnelle pleine d’embuches, de difficultés et de renoncements qu’est l’écriture d’une histoire, qu’elle soit roman ou scénario.

Mais si elle existe, où se cache-t-elle ?… Pas encore sur vos feuilles de papier vierges, c’est certain. Je pense que si elle doit être quelque part, sur l’axe du temps, ce doit être dans ce que l’on appelle habituellement l’inconscient. Le lieu de l’imaginaire par excellence. Le lieu duquel vous est parvenu peut-être, justement, l’idée d’écrire cette histoire. C’est donc avec cet inconscient qu’il va falloir dialoguer tout au long du processus de conception de votre projet, pour découvrir cette histoire.

Interroger l’histoire pour la découvrir

Fermez les yeux. Vous êtes dans la salle dont les lumières s’éteignent… et soudain le film commence…

Une grande partie de notre travail d’auteur consiste à découvrir, à révéler, ce qui va être projeté sur l’écran et qui, je le répète, existe déjà, quelque part, sur les lignes du temps. Syd Field exprime cette idée en affirmant cette phrase que j’affectionne : “Trust the story” (faite confiance à l’histoire). C’est exactement cela. Faite confiance à l’histoire et interrogez-la.

Cette interrogation est dans la continuité directe des brainstormings dont nous avons déjà parlé.

Interroger l’histoire, sans croire ni à la physique quantique ni à aucune mystique, c’est simplement utiliser le brainstorming en ayant la foi en la possibilité de l’histoire, en ayant foi en sa propre capacité à la découvrir. Chacun peut avoir cette foi en lui, qui ne demande que courage, persévérance et confiance.

Interroger l’histoire, c’est aussi oublier un peu qu’on est Dieu lorsque l’on raconte une histoire, lorsque l’on crée, position qu’adopte très souvent l’apprenti-auteur par crainte de ne rien contrôler, torturant par là-même ses intrigues et ses personnages, en se demandant pourquoi ça ne fonctionne pas. Il faudrait s’interroger plutôt, chaque fois, sur sa propre légitimité, au niveau des compétences comme de la déontologie, à se prendre pour le maitre tout puissant de ses histoires et de ses personnages…

Il faut plutôt faire preuve d’humilité. Et faire preuve d’humilité, ça ne signifie pas se répéter à chaque obstacle rencontré : “je suis nul”. L’humilité n’a rien à voir avec ce complexe, et elle n’exclue nullement la confiance en soi ou l’assurance.

L’humilité, c’est simplement se dire qu’on n’est pas capable, seul avec son conscient, de construire l’histoire. L’humilité, c’est se dire qu’il va falloir accepter de travailler avec son inconcient, inconscient qui en connait plus que nous sur tous les points de l’histoire et des personnages.

L’humilité, c’est donc se dire qu’il va falloir lui poser des questions, comme un enfant, plutôt que de vouloir lui appliquer des réponses toutes faites.

Interroger l’histoire, c’est ce que nous allons faire tout au long du processus de développement, jusqu’à tout connaitre d’elle, jusque dans les moindres détails (en vérité, comme tout être vivant, l’histoire gardera toujours une part de mystère, ces petites choses que la raison ne parvient pas à expliquer, et qui font tout le charme, le génie parfois, d’une œuvre).

Interroger une histoire, c’est aussi la respecter, ne pas lui imposer de force des idées, des étiquettes, des formes et des valeurs. C’est le seul moyen de la voir s’épanouir harmonieusement, comme un enfant qui grandit.

Car soyez-en certain : une histoire de se force pas, elle s’apprivoise.

Elle s’apprivoisera d’autant plus facilement, elle sera d’autant moins violentée que vous aurez la conviction qu’elle existe déjà, entière et pleine, aboutie, et que vous n’êtes là que pour la découvrir, que pour entendre les réponses qu’elle peut vous donner. Ouvrez grand vos oreilles, et restez toujours à l’écoute de votre petite voix intérieure.

Rester ouvert

Et dans l’heuristique qu’est l’écriture d’une histoire, ce chemin riche en découvertes, en évaluations permanentes d’hypothèses diverses et permanentes, l’auteur doit toujours rester ouvert à la sérendipité, au fait qu’il peut découvrir tout autre chose que ce qu’il s’attendait à trouver, comme Christophe Colomb tombant sur l’Amérique en pensant rejoindre les Indes.

C’est seulement en s’habituant à adopter cette attitude qu’il sera susceptible de trouver l’idée. Pour cela, comme nous avons souvent à le répéter, il doit passer plus de temps à écouter son histoire, à écouter ses personnages, qu’à forcer son récit à être conforme à l’idée qu’il s’en fait.