La collection Narration

Symptôme, diagnostic et prescription

On fait souvent de l’analyse de texte sans trop y réfléchir, sans trop se demander comment l’on doit ou devrait s’y prendre, que ce soit sur ses propres travaux ou sur ceux d’autres auteurs. On se soucie seulement d’avoir quelque chose à dire et d’essayer, parce que l’on a entendu parler de ce principe, de procéder du général au particulier.

Mais lire un texte, donner son avis sur un manuscrit, sur un scénario, est un exercice beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine. Je ne parle pas ici de la difficulté à donner des conseils — en vérité, on ne devrait jamais avoir à en donner, comme nous le verrons… — je parle de la complexité de l’acte lui-même : lire un texte dans le but de le corriger ou d’aider celui qui l’a écrit à le corriger.

Et force est de constater que très souvent, pour ne pas dire la plupart du temps, cet acte produit des effets plus négatifs que positifs pour le projet. Nous allons essayer de comprendre pourquoi et comment il faut s’y prendre.

Pour une démarche médicale

La lecture visant à améliorer un projet ressemble en de nombreux aspects à la démarche médicale adoptée lorsqu’un problème de santé se pose. Le texte, comme un corps vivant, peut être malade et, à l’instar de n’importe quel corps vivant malade, on doit l’aborder pour être efficace par le biais de :

  1. la symptominie (le symptôme),
  2. le diagnostic,
  3. la prescription.

Notons que c’est la démarche qui peut être adoptée pour trouver la solution de n’importe quel problème, pas seulement ceux posés par l’écriture.

Ce “protocole” peut se formuler plus concrètement par :

  1. comment se manifeste le problème ? Que peut-on en voir, en sentir ? (symptômes)
  2. quelles sont les raisons possibles de ce problème ? Quelle en est l’origine ? (diagnostic)
  3. que faut-il faire pour régler ce problème ? Quelles sont les solutions et comment les mettre en œuvre ? (prescription)

Ces trois phases devraient être systématiquement respectées au cours d’une bonne analyse. Or, force est de constater que ça n’est pas toujours le cas. On le voit souvent en atelier, où certains apprentis-auteurs — en général les plus expérimentés… —, passent allègrement et directement à la prescription. On le reconnait immédiatement à ce premier conseil lancé à l’auteur : “Tu devrais faire ceci” ou “Tu devrais ajouter ça” sans avoir au préalable 1/ exprimé le problème que l’on ressentait (symptôme) et 2/ tenté d’expliquer ce problème (diagnostic).

Avant d’aborder plus en détail chacune de ces trois phases qui devraient donc être systématiquement respectées, notons d’emblée que :

À nouveau, reformulons pour être plus clair :

Voyons ces phases dans le détail.

La symptominie

Cette première étape de l’analyse va consister à décrire le plus précisément possible les problèmes qu’on peut voir/sentir/ressentir à la lecture du texte, que ce soit un manuscrit, un synopsis, un scénario, etc. Il s’agit de les décrire sans les expliciter, sans les justifier, en cherchant seulement la justesse de l’impression, en cherchant à décrire le plus justement le “malaise” ressenti ou vécu.

Le lecteur s’apercevra vite que cette justesse est redoutable à trouver — elle revient à connaitre la nature exacte de ses sentiments, de ses impressions — et pourtant elle est capitale pour aider véritablement l’auteur à améliorer son texte.

C’est une phase émotionnelle et cognitive, en tout cas tournée vers l’émotion et le sens. “J’ai ressenti ça”, “Je n’ai pas compris ça” sont les deux principales formules qu’on devrait trouver dans cette partie.

RÈGLE D’OR DE LA SYMPTOMINIE

Pour le lecteur qui émet la critique, la règle d’or de cette première phase consiste à tenter d’être le plus honnête et le plus sincère possible avec son ressenti. Il doit s’évertuer à transmettre ce sentiment le mieux possible à l’auteur. Il peut se contenter de dire “je n’ai pas aimé cette scène”, “je n’ai pas compris ce personnage” si l’introspection ne lui permet pas d’aller plus loin.

Pour l’auteur qui reçoit les critiques, la règle d’or de cette première phase est : le lecteur a toujours raison.

Le lecteur a toujours raison.

Comprendre : ce qui est ressenti par le lecteur ne peut être nié, quel que soit le texte. Ce qui est compris par le lecteur ne peut être nié, quelles que soient les informations objectives données par l’auteur.

Le diagnostic

Au cours de cette seconde phase de l’analyse, on tente de définir et d’expliquer les raisons qui pourraient justifier les problèmes posés, les causes possibles des faiblesses ressenties, en bref on tente d’élucider, de comprendre, ce qui a pu provoquer les symptômes ressentis.

C’est la recherche de l’origine possible du mal, en espérant tomber sur la bonne. Sans découvrir avec quasi-certitude cette origine, on ne pourra pas appliquer de prescriptions.

C’est une phase analytique, de réflexion. Comme indiqué plus haut, elle est réservée à des auteurs suffisamment expérimentés pour connaitre un large éventail de problèmes et leurs origines habituelles.

RÉGLE D’OR DU DIAGNOSTIC

Pour le lecteur qui formule la critique, la règle d’or est : sans expérience sérieuse de l’écriture, il vaut mieux ne pas procéder à cette phase… Il convient de s’arrêter à la symptominie qui représente un challenge bien suffisant et s’avère souvent infiniment plus utile à l’auteur que les deux phases suivantes.

Pour l’auteur qui reçoit les critiques — mais qui vaut tout autant pour le lecteur —, la règle d’or pour cette partie délicate est : la maladie ne se trouve jamais dans le bouton (cf. la citation ou la page de cours). En d’autres termes, si le lecteur explique qu’un problème sérieux provient de l’endroit où on le ressent, vigilance…

La prescription

Cette troisième phase de la lecture consiste à déterminer ce qu’il faut faire pour remédier aux problèmes, pour soigner le texte. C’est la phase de médicamentation.

Cette prescription peut connaitre deux degrés de profondeur :

La prescription est une phase de décisions, de choix, de prérogatives éclairées, d’inspiration aussi, donc une phase où l’expérience personnelle du lecteur en tant qu’auteur et conseiller est capitale.

RÉGLE D’OR DE LA PRESCRIPTION

Pour le lecteur qui formule la critique, il convient d’abord de bien déterminer avec l’auteur ce que ce dernier attend : de simples pistes (un travail de script-doctor) ou des idées concrètes (un travail de coauteur). Le lecteur devra ensuite respecter à la lettre ce choix et se garder de proposer la moindre idée si l’auteur ne le désire pas. Il y a suffisamment de travail en dehors des idées pour trouver son utilité. Et se rappeler que :

Proposer des idées à un auteur
est la pire des aides qu’on
puisse lui apporter.

Pour l’auteur qui reçoit les critiques, la règle d’or de cette redoutable partie doit être : on ne fait confiance qu’à des professionnels aguerris ayant une expérience sérieuse de l’accompagnement d’auteurs. Un auteur même expérimenté peut être d’une influence très néfaste pour un projet.

L’auteur du texte devrait également comprendre qu’il est le seul, par rapport à son projet personnel, à pouvoir trouver la solution exacte qui convient. Lui seul sait profondément ce qu’il veut ou ne veut pas raconter, comment il veut ou ne veut pas le raconter, ce qu’il veut ou ne veut pas exprimer — sans perdre de vue que c’est bien entendu avec l’expérience que ces convictions se raffermissent et que l’apprenti-auteur a le droit d’être plus hésitant sur ces points.

Ne pas oublier le positif

Nous avons surtout parlé ici des problèmes qui pouvaient se poser dans un texte malade, mais pour être efficace, un compte-rendu de lecture ne devrait jamais oublier de faire un travail tout aussi important et détaillé sur ce qui fonctionne :