Le Pivot 2 (scène-clé)
Le développement se conclut par le pivot 2, une scène située aux 3/4 du récit qui va le faire basculer vers son dernier quart-temps : le dénouement. Cette scène a souvent un caractère de “point de non-retour”, mais pas toujours. “Point de non-retour” signifie deux choses :
- passé ce point, les personnages n’auront aucun moyen de revenir en arrière,
- passé ce point, les personnages seront conduits inéluctablement, comme sur une pente raide, vers le climax, affrontement des forces antagonistes.
Cette scène-clé est peut-être la scène la plus difficile à définir et également la plus difficile à repérer dans les histoires. Elle peut passer totalement inaperçue pour le spectateur ou le lecteur. Elle n’en est pas moins décisive pour l’auteur dans la construction de la structure et sa parfaite tenue.
Quelques exemples dans les films
Voyons quelques exemples de pivot 2 qui se trouvent parfaitement placés aux trois quarts de la durée du film (hors génériques).
Mortelle randonnée
C’est le moment où
Catherine abat un policier lors d’un braquage dans
Mortelle Randonnée (Claude Miller, 1983) (un film, par parenthèse, qui a certainement inspiré le film
Thelma & Louise (Ridley Scott, 1991) écrit par
Callie Khouri). À partir de ce moment, alors qu’elle n’était pas vraiment inquiétée par la police, Catherine va se trouver dans sa ligne de mire. La confrontation semble inéluctable.
The Maze Runner
Dans
The Maze Runner (Le Labyrinthe, Ball Wes, 2014),
Thomas, rejeté du bloc, part dans le labyrinthe accompagné des blocards les plus jeunes pour trouver la sortie de la zone 7. Le
pivot 2, un point de non-retour ici, est le moment où Thomas et ses amis sont repoussés à l’intérieur du labyrinthe par leurs détracteurs. Leur retour sera impossible. Ils doivent trouver la sortie ou mourir.
Mememto
Il n’est peut-être pas question à proprement parler de
pivot 2 au sens
fonctionnel du terme dans
Memento (Christopher Nolan, 2000) mais au sens simplement
structurel du terme. Aux 3/4 du film est présenté le “fin mot de l’histoire” concernant l’affaire d’escroquerie à l’assurance. Comme le montre la scène en noire et blanc, c’est sans intention de tuer et sans le savoir que le mari, victime d’amnésie antérograde, avait tué sa femme.
Thelma & Louise
Le pivot 2 intervient au moment où, dans
Thelma & Louise,
Hal Slocumb, le policier chargé du meurtre, annonce à
Louise qu’il sait maintenant où les deux jeunes femmes se rendent. Cela change radicalement la nature de la poursuite et sonne la fin du périple des deux protagonistes : il semble inéluctable à présent qu’elles rencontrent la police sur leur chemin.
Spotlight
Dans
Spotlight (Tom McCarthy, 2015), le pivot 2 fait basculer les protagonistes vers la vérité. Alors que jusque-là les reporters du Boston Globe ne pouvaient s’appuyer que sur des spéculations concernant le fait que personne n’était au courant des actes pédophiles des prêtres,
Mike Rezendes découvre les lettres adressées au cardinal
Bernard Law qui démontrent que l’église et ses plus hautes instances avaient été alertées. Cette information fait entrer le film dans son dernier quart-temps qui conduira à la révélation complète de l’affaire.
Everest
Dans
Everest (Baltasar Kormákur, 2015), le pivot 2 correspond au moment où
Rob Hall parvient à contacter le camp de base, annonce que Harold et Doug sont morts, et demande pour la première fois de l’aide. Il est coincé, bloqué sur la
petite marche. Cette position le conduira à la mort, malgré toute l’aide qu’on voudra lui apporter.
Notons que dans un autre film, plus optimiste et moins réaliste, ce pivot 2 aurait été une simple
crise, un moment où tout semblerait perdu pour le protagoniste. Puis sa femme
Jan serait intervenue et Rob aurait trouvé la force de se battre, de redescendre un peu pour attendre les secours —
sortie de crise. Et les secours seraient arrivés à temps pour le sauver, il aurait pu survivre et voir la naissance de sa fille. Le film y aurait perdu beaucoup en sens.
Minority Report
Dans
Minority Report (Steven Spielberg, 2002), par rapport à l’intrigue concernant le meurtre annoncé de
Leo Crow par
John Anderton, le second pivot survient lorsque John Anderton aperçoit l’affiche à l’homme aux lunettes qu’on monte en haut d’un immeuble. John sait alors qu’il se trouve sur le lieu du meurtre qu’il doit commettre. Il entre dans l’
antre du vilain.
Par rapport à l’intrigue principale du même film, le second pivot correspond au moment où John Anderton ne tue pas Leo Crow. C’est un coup de théâtre plus capital qu’il n’y parait : à partir de ce moment on est absolument sûr que l’entreprise Precrime n’est pas infaillible, que les meurtres ne sont pas toujours des certitudes. C’est donc
le début de sa fin, qui couvrira le dernier quart-temps du film.
The Straight Story
C’est le moment peut-être — car la structure est plus floue — où les deux Jumeaux mécaniciens de
The Straight Story (Une Histoire vraie, David Lynch, 1999) parviennent à réparer le tracteur d’
Alvin, dernière condition pour qu’il puisse accomplir la fin de son long périple. On peut comprendre, par ce dernier exemple, que le second pivot n’a pas toujours la clarté du diamant et que les hésitations sont possibles quant à sa désignation exacte.
L’entrée dans le dénouement
Le dénouement correspond souvent, comme nous l’avons vu, à l’entrée — symbolique ou non — du protagoniste dans l’“antre du méchant” ou au contraire de l’antagoniste chez le protagoniste. Le second pivot inaugure cette entrée, ce basculement qui contient en lui la promesse de la rencontre inévitable entre le méchant et le gentil, ou le protagoniste et les forces antagonistes.
La série classique des James Bond illustre tout à fait ce basculement : le dénouement commence souvent lorsque James pénètre dans le repaire secret du méchant.
Sortie de crise
Comme nous avons pu le suggérer plus haut avec le film Everest, la crise peut se trouver juste avant le second pivot, ce second pivot correspondant alors à la sortie de crise, c’est-à-dire à la scène qui permet de relancer l’histoire qu’on pensait définitivement interrompue. Commence alors le dernier acte de l’histoire.