La collection Narration

Comment choisir son histoire ?

Il n’est jamais aisé de choisir la prochaine histoire que l’on va développer. Encore moins lorsque plusieurs se bousculent dans votre esprit avec la même envie d’exister. On voudrait pouvoir toutes les enfanter.

Mais vouloir mener de front plusieurs projets, surtout au cours d’un apprentissage de la dramaturgie, serait suicidaire. Il est préférable d’apprendre à faire une seule chose, et apprendre à la faire bien.

Lorsque vous serez suffisamment expérimenté pour développer plusieurs récits de front, le problème se posera alors en d’autres termes, eu égard à l’investissement chronophage que représente un projet audiovisuel ou romanesque d’envergure. Vous noterez aussi — tous les auteurs le disent — que plus l’expérience grandit et plus la nécessité de bien choisir son histoire s’impose.

Mais comment choisir cette histoire ? Comment choisir la bonne histoire ? Celle qui vous apportera toute satisfaction ?

Il n’y a pas de recette miracle, pas de questionnaire type permettant de répondre à coup sûr à cette question alors contentons-nous d’essayer de dégager quelques pistes afin que ce choix se fasse avec le maximum de clairvoyance.

Quel est votre budget ?

Avant d’aborder concrètement la question du choix de votre histoire, il est important de comprendre que ce choix peut être radicalement différent selon qu’il s’agisse de votre tout premier manuscrit/scénario ou de votre x-ième projet.

Dans le premier cas, la seule consigne doit rester : “faites-vous plaisir !”. Ce manuscrit n’a pratiquement aucune chance d’être édité et s’il s’agit d’un scénario, ses chances sont nulles de devenir un film. Aucun premier scénario n’a jamais conduit à un film (professionnel) et très peu de tout premiers manuscrits ont eu la chance d’être édités. Ça n’est pas malheureux, ça témoigne seulement de la difficulté de l’écriture réelle.

Aussi bien, faites-vous plaisir, choisissez le sujet en toute liberté, imaginez un casting de rêve, des péripéties onéreuses, des voyages sur tous les continents ou dans toutes les galaxies, bref : ne vous imposez aucune limite budgétaire !

Pour une premier projet, ne vous
fixez aucune limite budgétaire !

En revanche, s’il s’agit d’un troisième ou quatrième essai, alors peut-être est-il important d’introduire le critère faisabilité dans le choix de votre projet. C’est le critère incontournable pour donner à votre travail une chance d’exister. Ce critère faisabilité concerne aussi bien les questions financières — pour le cinéma — que les questions factuelles du moment : les films ou les romans qui se font, les genres en vogue, les thèmes et les dispositifs les plus souvent abordés et les vibrations propres à la société du jour. N’ayez aucune honte : en l’occurrence il ne faut pas confondre “mode” et “air du temps”, et les plus grands auteurs ont adopté cette démarche sans que rien ne les empêche d’exprimer leur touche originale et personnelle.

Vous plaire

Le projet que vous choisirez doit vous plaire. C’est la condition première et absolue pour se lancer sérieusement dans une histoire : qu’elle vous plaise, qu’elle vous plaise vraiment, qu’elle vous plaise même infiniment. Si une histoire ne vous emballe pas complètement, laissez-là de côté. Il vous faut de l’enthousiasme et un réel appétit de raconter pour mener à bien un projet de récit et le rendre le plus convaincant possible.

CHECKUP[Votre histoire vous plait-elle suffisamment ? choixhistoire]

Mais attention : ne vous laissez pas abuser par une idée trop fraiche. Laissez toujours passer une semaine ou une quinzaine de jours sur une idée d’histoire, en y pensant, en y réfléchissant un peu, en la faisant vivre un peu en vous avant de prendre toute décision. Ne vous laissez pas abuser par le mirage des idées toute fraiches.

Le choix par les critères

Chacun possède ses propres critères pour définir ce qu’est une bonne ou une mauvaise histoire. Plus vous écrirez et serez en contact avec des histoires et plus ces critères se dessineront avec précision.

Aussi, pour choisir votre histoire, le bon sens exige que cette histoire réponde en premier lieu à vos propres critères. Ça pourrait sembler trivial de le dire, on constate pourtant trop souvent que l’apprenti-auteur ne fait pas toujours ce choix.

CHECKUP[Votre histoire, de façon générale, correspond-elle à vos propres critères concernant ce qu’est une bonne histoire ? choixhistoire]

Le choix par les personnages

Choisir une histoire, on n’en a pas suffisamment conscience, c’est aussi décider de passer un an ou plus avec des personnages. Si l’on travaille sérieusement, on passera même plus de temps avec ces personnages, au cours de cette année-là, qu’avec les vraies personnes de son entourage, qu’avec son conjoint ou ses amis. Écrire, c’est faire un mariage polygame, en espérant qu’il soit pour le meilleur et pas pour le pire.

Écrire, c’est faire un mariage polygame.

Autant dire qu’il est nécessaire de voyager bien accompagné et donc de bien s’interroger sur ses personnages, de sentir la sympathie qu’on peut avoir pour eux avant de les avoir développés, même pour les personnages négatifs, les “méchants”.

Il faut aussi mesurer leur potentiel, les choses qu’ils pourront avoir à défendre. Si c’est un film que vous préparez, une bonne piste est de se demander les raisons qui pourraient pousser un acteur — bon et en vue si possible — à accepter d’interpréter tel ou tel rôle (est-ce les choses inédites qu’il va faire ? Est-ce la cause qu’il va défendre ? Est-ce la prouesse que représente le rôle ? Est-ce l’humour qu’il va générer ? etc.).

Le choix par le protagoniste

Ce qui est vrai de tout personnage l’est encore plus du protagoniste, le personnage avec lequel vous passerez le plus clair de votre temps. Avec ce personnage-là, vous passerez même toutes vos nuits.

Le personnage principal, fondamental, doit être pleinement impliqué dans l’histoire que vous choisirez. Il doit rencontrer des problèmes personnels, et ne pas se contenter de réagir, mais d’agir pour régler ces problèmes.

Quelle cause va-t-il embrasser ? Est-elle suffisamment forte, est-elle suffisamment juste ou provocante pour vous emporter ?

Le choix par la QDF

Peut-être, plus tard, pourrez-vous vous permettre de construire une histoire qui ne s’appuiera pas sur une question dramatique fondamentale (QDF) forte et claire. Mais pour le moment, aidez-vous, ne vous mettez pas de bâtons dans les roues, le travail sera suffisamment difficile comme ça. Donc choisissez une QDF évidente, dramaturgique et simple à formuler et à comprendre.

Reprenez les histoires que vous avez en balance et extrayez-en la question dramatique fondamentale qui va tenir en haleine le spectateur d’un bout à l’autre du récit. Si cette QDF ne se dégage pas facilement, renoncez à cette histoire. Si cette QDF se révèle facilement mais qu’elle semble confuse ou trop particulière, alors renoncez à l’histoire. Si au contraire cette QDF se dégage aisément et présente une simplicité et une force émotionnelle évidente, alors vous tenez certainement le récit que vous pourriez mettre en chantier.

CHECKUP[Votre QDF est-elle suffisamment simple et forte ? choixhistoire]

Le choix par les thèmes

Faites la liste des thèmes qui se dégagent de vos histoires en balance et mettez en exergue ceux qui vous sont propres, qui vous interrogent au-delà des simples histoires : dans votre propre vie. Si vous vous sentez réellement concerné par ces thèmes, si vous pensez que vous avez des choses à en dire, des choses personnelles, — même s’il s’agit de purs films d’action — alors vous êtes peut-être sur le bon choix.

CHECKUP[Vous sentez-vous réellement concerné par les thèmes principaux de votre histoire ? choixhistoire]

Mais cela ne suffit pas. Il faut en plus estimer si ces thèmes sont originaux par rapport aux films ou aux romans que vous connaissez ou qui existent déjà. S’ils sont originaux, ne le sont-ils pas trop (ils risquent alors de ne pas intéresser suffisamment de personnes) ? S’ils sont fréquemment traités, ne le sont-ils pas trop (vous risquez alors de ne pas être très original…) ?

Notez que les questions soulevées dans cette partie ne sont cruciales que si vous en êtes à votre troisième ou quatrième projet. Ne vous en souciez pas pour un premier récit.

CHECKUP[Avez-vous fait une recherche sur vos thèmes principaux pour savoir s’ils étaient souvent développés dans les histoires ? Ne sont-ils pas trop originaux ? Ne sont-ils pas trop communs ? themes]

Enfin, ces thèmes partagent-ils une proximité avec aujourd’hui, avec les temps qui courent, sont-ils dans l’air du temps ou, mieux, sentez-vous qu’ils prennent de plus en plus d’importance et qu’ils en auront encore plus à l’avenir ?

CHECKUP[Vos thèmes sont-ils suffisamment — sans être trop — dans l’air du temps ? themes]

Si aucun de vos thèmes ne remplit ces exigences mais que vous êtes intimement convaincu de pouvoir passionner des foules tout de même, alors n’hésitez pas non plus (d’autant plus si vous destinez votre histoire au roman où les exigences thématiques sont moins contraignantes que dans l’audiovisuel).

Le choix par le contexte

L’histoire que vous devez choisir doit avoir un contexte précis et moderne. C’est-à-dire que cette histoire doit se passer dans un temps, une géographie, une classe, un métier, etc. défini et en prise avec une certaine actualité durable (ce que j’appelle une actualité durable, c’est une actualité susceptible de s’étendre sur plusieurs années, ça n’est pas un scoop oublié sitôt énoncé).

Si ce contexte n’est pas “moderne” — ce qui est toujours possible — est-ce qu’il est suffisamment fort en lui-même pour intéresser même des gens qui sont préoccupés par de tout autres choses ?

CHECKUP[Le contexte de votre histoire est-il suffisamment précis et moderne ? choixhistoire]

Là aussi, ces questions sont de moindre importance si c’est votre tout premier projet.

Le choix par les idées de scènes

Posez-vous un peu — une heure — sur chacune des histoires qui sont en balance et tentez d’imaginer les scènes fortes, puissantes, originales, émotionnelles qui pourraient s’y dérouler a priori, sans rien connaitre encore du récit.

Il est toujours bon, quand on doit faire un long et périlleux voyage, de connaitre à l’avance les escales principales qui permettront de reprendre des forces et du courage, ou les escales dont on se réjouit d’avance pour la beauté des choses qu’on y découvrira. Les “scènes fortes” dont je parle ici sont comme les escales de votre périple dans le récit.

Si aucun moment intéressant ne se dégage de ce brainstorming que vous ferez sur chaque histoire, aucun moment qui vous prendrait aux tripes, alors il y a de fortes chances qu’il n’y en ait pas beaucoup plus qui se dégagent au cours du développement de l’histoire (même si cela peut bien entendu survenir).

Si au contraire l’histoire présente tellement d’ouvertures et de conflits possibles que vous ne pourrez jamais y faire entrer toutes les scènes fortes auxquelles vous pouvez penser en y réfléchissant seulement quelques instants, alors vous êtes sur la bonne voie, vous tenez certainement l’heureuse élue qui aura la chance d’être développée par vos soins dans les mois à venir.

L’auteur idéal

Dans l’idéal, vous devriez pouvoir vous dire de façon suffisamment objective par rapport à l’histoire choisie : je suis la personne la mieux placée pour traiter cette histoire. Cette affirmation ne doit en aucun cas procéder de la prétention de l’auteur, elle doit découler plutôt de ses aptitudes propres, une fois qu’elles sont mieux cernées par l’apprenti-auteur : pour commencer, sa connaissance du sujet, des thèmes abordés dans l’histoire, ensuite le style à donner au récit, l’approche générale des personnages, etc.

Vous tenez un bon sujet lorsque vous pouvez affirmer lucidement que vous êtes une des personnes les mieux placées pour traiter l’histoire.

Aucune histoire valable ?

Si vous parvenez au bout de ces pistes sans avoir d’histoire remplissant tous les critères voulus, deux choix se présentent à vous : soit vous brainstormez encore sur des histoires possibles pour en inventer une qui vous convienne, soit vous vous contentez de celle qui remplit le plus grand nombre d’exigences, en vous efforçant dans un premier temps de renforcer tous les aspects qui lui font défaut.

Mais surtout : n’attendez pas trop longtemps. Il est préférable de travailler sur une histoire qui n’emporte pas votre totale adhésion que d’attendre sur l’histoire géniale. Tenez-vous le pour dit : cette histoire géniale ne nous traverse l’esprit que lorsque cet esprit est occupé à tout autre chose que de l’attendre !