La collection Narration

Qu'est-ce que le rythme ?

À propos du rythme, commençons par éclaircir deux confusions souvent commises :

Nous allons nous y arrêter car l’apprenti-auteur doit méditer sérieusement ces notions s’il compte écrire pour l’écran où elles jouent un rôle capital, à l’instar de la danse et la musique qui présentent elles aussi un continuum ininterrompu que le public accepte de “subir”.

Ne pas confondre “Rythme” et “Tempo”

Le rythme n’est pas synonyme de vitesse — c’est le tempo qui l’est. Même s’il est vrai que la sensation de rythme augmente avec le tempo pour la plupart des gens, il faut savoir qu’un tempo quel qu’il soit, même très lent, développe toujours un rythme, du rythme. Nous allons y revenir dans un instant.

Ne pas confondre “Rythme” et “Répétition”

La tentation est grande de confondre rythme et répétition tant on associe les percussions musicales à cette notion de rythme. Or, que fait une percussion si ce n’est répéter un bruit à intervalle régulier ? Mais l’art déteste la répétition, synonyme d’ennui, sauf lorsque l’effet qu’il veut produire relève de la transe. La transe, elle, s’appuie sur la répétition à des fins hypnotiques.

Ce que nous appelons “rythme” en art est plus riche et plus complexe que cette utilisation primaire du rythme. Le rythme s’appuie avant tout sur le contraste. Notez immédiatement que ce contraste est lui-même à la base des percussions : une percussion ne fait que jouer du contraste entre bruit et silence.

Le rythme est avant tout l’art du contraste. C’est un temps faible qui suit un temps fort. C’est une couleur bleue qui suit une couleur rouge. C’est un lieu urbain rempli de monde qui suit un décor désolé et inhabité.

La structure s’appuie intensément sur ces effets de contrastes pour créer son rythme, comme nous le verrons en détail dans le chapitre sur les alternances et les contrastes.

Retenez simplement pour le moment que pour créer du rythme, il est inutile d’aller chercher ni du côté de la répétition, ni du côté de la vitesse, il faut le chercher du côté du contraste et de l’alternance.

Une attente dans le futur

Le rythme engendre une attente
inconsciente dans le futur.

Si le rythme n’est pas la répétition, il joue cependant sur un phénomène qui peut relever de la répétition : si une couleur bleue est montrée et qu’une seconde plus tard une couleur rouge lui est substituée, le cerveau attendra sur la seconde suivante un nouveau changement de couleur. Si une troisième couleur apparait alors, le cerveau sera certain que la seconde suivante une quatrième couleur — ou l’une des trois déjà apparue — va fatalement apparaitre.

Le rythme crée donc, de façon consciente ou inconsciente, une attente dans le futur. L’artiste est alors devant une alternative : soit il décide de satisfaire cette attente et propose une nouvelle couleur, soit il opte pour la surprise, en veillant à offrir en échange une compensation jubilatoire d’intensité supérieure à la frustration engendrée. L’auditoire ne doit pas avoir le sentiment de perte mais de gain.

Une attente parfaitement localisée

Dans une histoire, d’autant plus quand elle est visuelle, la grande richesse des contrastes possibles crée tout autant de rythme. L’histoire elle-même, dans son plan très général, de par l’alternance de ses grands actes, se fait rythme.

Qu’on soit fort en maths ou pas, notre inconscient reste un puissant calculateur qui possède une perception très fine du temps, beaucoup plus fine que la partie consciente de notre cerveau qui elle perçoit la durée temporelle de façon très subjective. On verra plus tard en quoi cette perception subjective rend invisible les bases de la structure.

Nous avons vu qu’à partir du moment où l’inconscient peut déterminer un intervalle de temps — la seconde entre deux couleurs —, il va aussitôt projeter à notre insu des attentes dans les mêmes intervalles de temps suivants. Ce phénomène s’applique à tout évènement narratif qui crée un contraste. Plus ce contraste est fort — un incident intense, décisif, fortement conflictuel, remarquable… — et plus ce qu’on pourrait appeler “la réponse future” est attendue ; elle sera même parfaitement localisée dans le futur par notre grand calculateur inconscient.

Pour bien saisir ce point capital de la structure, prenons une autre illustration de ce phénomène avec l’“allégorie du jet de pierre”. Lorsque vous attrapez un projectile et que vous le lancez en l’air devant vous, vous pouvez sans réfléchir déterminer peu ou prou l’endroit où ce projectile va retomber. Il en va de même pour tout élément du récit qui attend une réponse, à commencer par la question dramatique fondamentale ou la mise en route de ce récit. Le “lancer” correspond alors au moment où l’on sent que l’histoire démarre vraiment et la “retombée” correspond à la réussite ou l’échec de l’objectif du personnage principal.

Ce qu’il faut bien réaliser ici, c’est que le plus grand impact émotionnel se produira au moment même de cette retombée attendue. C’est là, à l’instant de cette retombée calculée par notre inconscient, que nous attendrons sans le savoir la conclusion.

C’est la raison pour laquelle il ne faut jamais démarrer l’histoire trop vite : la retombée de la pierre serait attendue trop tôt dans le récit et on lui reprocherait des longueurs quand bien même il n’y en aurait objectivement aucune. De même, démarrer l’histoire trop tard induirait une fin qui produirait son effet maximal alors que les spectateurs ont déjà quitté la salle ou que le lecteur a refermé le livre… Si l’idée est séduisante intellectuellement, elle se révèle dramatique pour la perception de l’œuvre.

Un piège tendu au public

En d’autres termes, pour conclure ce chapitre, on mettra l’accent sur le fait qu’un rôle principal du rythme dans la structure consiste à produire des attentes chez le public, à le prendre au piège de sa propre perception. Pour son plus grand bonheur bien entendu.