L’apprenti-auteur s’imagine trop souvent qu’il possède une histoire quand il a découvert l’objectif de son protagoniste. Il n’en est rien ou plutôt cela ne constitue que la première partie du chemin à parcourir pour se rapprocher d’une véritable dynamique de récit.
Car il est capital au préalable de comprendre qu’un but à atteindre, un désir, une volonté, ne constitue pas de fait un objectif au sens narratif du terme. Il ne suffit pas que le personnage veuille quelque chose pour que cette volonté devienne un objectif narratif.
Prenons un exemple : un homme est au travail. Il reçoit un coup de fil lui annonçant que sa femme est sur le point d’accoucher.
L’objectif du personnage, on le comprend bien, va alors être de rejoindre la maternité. Au sens commun du terme, c’est un objectif précis et clairement identifiable. Il est par ailleurs universel et il est donc inutile de s’étendre sur les motivations qui peuvent pousser l’homme à agir.
Est-ce pour autant un objectif au sens narratif du terme ? La réponse est clairement non, ou plus exactement : en l’état, il n’en est pas encore un. Car la condition sine qua non pour qu’on puisse véritablement parler d’objectif, donc d’objectif narratif, est que cet objectif soit entravé par des obstacles qui vont le rendre incertain.
Un objectif sans obstacles n’est pas un objectif.
Si le spectateur voit le personnage ranger tranquillement ses affaires, prendre ses clés de voiture, quitter gentiment son travail avec l’accord généreux de son N+1, monter dans sa voiture, se rendre sans encombre jusqu’à l’hôpital et arriver dans la chambre, sourire aux lèvres, pour assister à l’accouchement sous péridural de son cinquième enfant, il n’y a là rien de narratif, quand bien même cet évènement rappellerait à certains lecteurs ou spectateurs des souvenirs riches en émotions.
Certes, il y a un but à atteindre, un objectif, mais il n’y a aucune dynamique de récit. Parce que ce but à atteindre n’est pas dramaturgique, n’est pas narratif.
Comment peut-il le devenir ? D’une seule manière : en rencontrant des obstacles.
Un objectif devient narratif lorsqu’il
rencontre des obstacles.
Fort de cette leçon, l’auteur a deux solutions face à un objectif inerte :
La première solution consiste à ne pas s’attarder sur un objectif qui n’en est pas un.
Ne pas s’attarder sur un objectif non narratif.
Il convient alors de passer directement de la déclaration de cet objectif (le coup de fil annonçant l’accouchement imminent) à sa réalisation (l’entrée du personnage dans le bloc d’accouchement). Par exemple en enchainant simplement ces deux scènes.
La seconde solution consiste à transformer l’objectif inerte en objectif narratif, en créant des obstacles qui génèreront du conflit pour le personnage.
L’apprenti-auteur doit apprendre le plus tôt possible à tirer des obstacles des moindres séquences qu’il invente. C’est un réflexe qu’il doit acquérir et développer en permanence. Dans son apprentissage, face à une telle situation, il peut s’entrainer à faire la liste la plus exhaustive des obstacles possibles — et des conflits qui en découlent —, pour ne choisir ensuite que ceux qu’il juge intéressants, c’est-à-dire ceux qui génèrent le plus de conflit, ceux qui développent les thématiques ou les caractéristiques du ou des personnages, ceux qui sont les plus originaux.
Ici, une première liste pourrait être :
Mais comme nous l’avons suggéré, il ne suffit pas de se prêter au jeu des obstacles pour écrire une véritable histoire. Plusieurs précautions sont nécessaires pour ne garder que les obstacles intéressants :
Si aucun des obstacles trouvés ne répond à ces conditions, peut-être serait-il plus sage de renoncer de faire de l’objectif un véritable objectif narratif. Passer alors, comme cela est expliqué plus haut, de la déclaration de l’objectif à sa résolution.
Bien entendu, ce qui est valable pour un objectif principal l’est également pour tout objectif de tout personnage. Que ce soit un objectif courant sur le récit entier ou l’objectif tout à fait ponctuel d’un personnage de moindre importance, cet objectif ne pourra être considéré comme narratif qu’aux conditions définies ici.