La collection Narration

Savoir écrire une minute par page

Si c’est un film que vous écrivez, votre lecteur attend que vous respectiez une règle commune :

1 page de scénario = 1 minute de film

Si l’on estime qu’une page de scénario doit faire une minute de film, ça n’est pas innocent : le cinéma, à l’instar de la musique ou la danse, est un médium qui impose son tempo au public. Écrire une minute de film par page de papier est une façon d’imposer ce rythme au lecteur du scénario. C’est une façon également de connaitre la durée approximative du film.

Mais lorsqu’on n’a ni lu ni écrit beaucoup de scénarios, comment peut-on réussir la prouesse de respecter cette consigne d’1 page par minute ?

Voici deux solutions qui vous permettront d’acquérir très rapidement cette compétence, de ne pas passer par ces années de tâtonnement de l’apprenti-auteur habituel.

Reproduction d’une scène existante

La première solution consiste à reproduire sous forme de continuité dialoguée quelques scènes tirées d’un de vos films préférés, que vous possédez en DVD ou en fichier numérique.

L’avantage ici est double :

Démarche à suivre

Voici la démarche à suivre pour un extrait — entendu qu’il est impératif, pour réellement acquérir cette compétence, de l’appliquer à plusieurs extraits, au moins dix.

Choisissez l’extrait du film. Ne le choisissez pas trop long afin de pouvoir en faire plusieurs et donc multiplier les expériences différentes. Un extrait de 3 minutes est amplement suffisant.

Notez scrupuleusement la durée de cet extrait et calculez en conséquence le nombre de pages sur lesquelles il devra s’étendre. Si l’extrait dure 4 minutes, il doit être écrit en 4 pages. S’il fait 2 minutes 30, il doit tenir sur 2 pages et demi.

Ne perdez jamais de vue le nombre
de pages que vous devez atteindre.

Si cet extrait est une longue séquence — i.e. plusieurs scènes qui se suivent —, vous devez scrupuleusement noter la durée de chaque scène et respecter le temps respectif de chaque scène.

Bien entendu, cette exigence est un impératif de l’efficacité de cet exercice. Mais dans la “vraie vie”, les pages d’un scénario ont rarement cette rigueur. Une page dialoguée est plus proche des 40 secondes que de la minute tandis qu’une page d’actions est plus proche des 1 mn 20. L’un dans l’autre, puisqu’un bon film équilibre en général ses actions et ses dialogues, les durées s’équilibrent et le nombre total de pages correspond peu ou prou à la durée totale du film.

Cela établi, rédigez la séquence — ou la scène — en respectant toutes les recommandations données dans mon ouvrage Savoir rédiger et présenter son scénario (Philippe Perret et Robin Barrataud, 1998).

Astreignez-vous notamment à bien faire correspondre ce qui se passe à l’écran et ce qui se passe sur votre feuille selon le principe de la concomitance des informations : si un évènement survient à la 30e seconde, efforcez-vous de le placer exactement au milieu de la première page, etc. Plus vous respecterez cette consigne, mieux vous apprendrez à sentir ce qu’est un scénario bien minuté.

Après avoir rédigé un premier extrait, livrez-vous à un petit travail d’analyse, de relecture, pour vous imprégner de ce que vous avez pu écrire de la séquence ou de la scène.

Bénéfices de cet exercice

Notons que cet exercice est excellent pour d’autres raisons également : il vous permet de passer sous vos doigts de bonnes actions, de bons dialogues peut-être, écrits par des auteurs talentueux peut-être, ce qui, on ne s’en doute pas suffisamment, est très formateur également.

Estimation d’une scène personnelle

La seconde méthode pour acquérir le réflexe d’“une minute par page” relève du bon sens et s’applique à son propre travail.

Elle peut s’accomplir avant l’écriture dans le scénario de chacune de vos scènes. Si vous le faites pour toutes les scènes de votre premier scénario, vous n’aurez plus à le refaire ensuite.

Démarche à suivre

D’abord, vous apprenez votre scène par cœur, même le dialogue. Puisque vous l’avez écrite, ce devrait être assez rapide.

Munissez-vous d’un chronomètre à la seconde, celui de votre smartphone par exemple, et installez-vous dans un bon fauteuil pour être à l’aise, détendu.

Fermez alors les yeux et déclenchez votre chronomètre. Imaginez votre scène en essayant de respecter son rythme propre. Imaginez-la comme si elle était projetée sur votre écran intérieur.

À la fin de cette vision intérieure, stoppez le chronomètre et relevez le temps sur une feuille. Réitérez trois fois l’expérience sur la même scène en notant chaque fois le temps obtenu.

Ensuite, vous pouvez réellement jouer cette scène trois fois. Vous déclenchez le chronomètre et vous mimez les déplacements autant que faire se peut, vous dites les dialogues au rythme où vous les entendez.

Vous faites enfin la synthèse de tous ces temps pour obtenir une moyenne ou vous choisissez un temps qui vous a semblé parfaitement juste (pour les “nuls en math” : pour faire la moyenne, additionnez les 6 temps et divisez cette somme par 6).

Il ne vous reste plus alors qu’à respecter scrupuleusement ce temps sur votre page. La scène dure 3 mns 12 ? Vous devez apprendre à l’écrire sur 3 pages 1/4 et pas une ligne de plus (nonobstant les réserves faites plus haut sur les scènes dialoguées et les scènes d’actions).

Lire des scénarios

Bien entendu, lire des scénarios permet également de voir comment sont traitées les scènes, comment est géré le rythme. Mais il convient de trouver de vrais scénarios de production, pas des scénarios édités dont le formatage et le contenu ne correspondent en rien à la réalité professionnelle.

Si vous pratiquez l’anglais, on trouve des milliers de scénarios dans cette langue sur le net. Lisez-les en suivant le film et vous apprendrez également beaucoup sur l’écriture scénaristique en général.

Une seconde par ligne

Achevons cette partie avec une “astuce” pratique lorsque l’on rédige son scénario : au lieu de compter une minute par page, vous pouvez compter 1 seconde par ligne et par interligne — en sachant qu’il y a à peu près 60 lignes et interlignes dans une page de scénario.

Un scénario, c’est aussi une seconde
par ligne et par interligne.

Cela permet de gérer plus localement le rythme des actions lorsqu’on a le moindre doute sur leur durée.

Imaginons qu’un personnage sorte de sa voiture et traverse la rue pour aller frapper à la vitrine d’un magasin — pour appeler une vendeuse. Au rythme où on peut l’imaginer, il met environ 2 secondes pour sortir de sa voiture, 3 secondes pour traverser la rue encombrée et atteindre la vitrine et 3 autres enfin pour frapper contre la vitrine en cherchant des yeux la vendeuse.

Nous avons donc un passage de 8 secondes que nous pouvons gérer sur 8 lignes et interlignes :


      12. EXT. RUE EN VILLE - JOUR
 

         … une action avant…

(secs)

1 Ernest sort de sa voiture.

2

3 Il traverse la route, au milieu de la circulation dense

4 de ce milieu d’après-midi ensoleillé.

5

6 Ernest arrive à l’épicerie et frappe la vitre

7 puis attend en regardant autour de lui.

8

9 […]

Notez qu’il ne faut pas oublier de compter les interlignes — qui occupent dans l’exemple les secondes 2, 5 et 8. Et il convient de toutes les compter, celles avant et après l’intitulé de scène, avant le nom de personnage qui va parler, toutes :


(secs)

11

12 7. INT. MAGASIN - JOUR

13

14 Près des cabines d’essayage du magasin de fringues,

15 Ernest s’affaire autour d’une cliente.

16

17 ERNEST

18 (enthousiaste)

19 Sans dec ? Tu lui as dit ça ?

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21 La cliente s’admire dans le miroir.

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