La collection Narration

Paradoxe de la narration qui en fait la difficulté

Tout apprenti-auteur ignore, lorsqu’il aborde l’écriture, à quel point le travail d’un roman ou d’un film peut être titanesque, à quel point il fait appel à des compétences multiples et variées, à quel point la difficulté augmente exponentiellement avec la jeunesse. L’apprenti-auteur dit savoir cette difficulté — il l’a lu et entendu partout — mais, en réalité, il en ignore tout. Il est comme un marin qui sait que l’océan indien est redoutable à franchir mais ne l’a en réalité jamais franchi qu’en pensée.

Cette ignorance, malheureusement, est une des causes principales de son incapacité à finir un roman, une BD ou un scénario. Car savoir qu’il y a une difficulté donne l’impression de la connaitre, et cette impression empêche de la surmonter : lorsque survient la difficulté, l’auteur réalise son ampleur réelle — bien plus importante que l’idée qu’il s’en était faite — et, ne pouvant la surmonter alors que d’autres l’ont fait, il pense ne pas être capable d’écrire.

Cette ignorance de la difficulté repose d’abord sur la croyance que l’écriture est facile. Même si l’apprenti-auteur prétend qu’il sait que c’est dur, dans le même temps il pense presque toujours qu’il verra son premier scénario réalisé ou son premier manuscrit publié.

“Pourquoi cela serait-il si difficile ?” se dit-il. Un récit, cela parait si simple, évident, limpide, lorsqu’on le voit défiler sous ses yeux, sur la toile ou au fil des pages, au fil des cases. Tout semble si logique, si simplement cohérent, tout semble tellement couler de source, aller de soi, même lorsque l’on se fait surprendre. “Ça doit être difficile, se dit-il, mais pas pour moi, apparemment”.

En vérité, de tous les arts, il n’y a pas simplicité plus trompeuse que celle de l’écriture.

Et si l’apprenti-auteur savait à quel point l’écriture est difficile, il comprendrait que ça n’est pas avant son septième scénario de long-métrage ou son troisième manuscrit de roman qu’il aurait une chance, une maigre chance, de voir l’un réalisé ou l’autre publié.

L’écriture est le plus trompeur des arts.

Pourquoi ? Simplement parce que lorsque nous voyons un danseur, nous savons bien être incapables, sans être danseur ou danseuse nous-mêmes, d’exécuter un entrechat, un grand écart. Lorsque nous voyons un peintre, nous savons bien être incapables, sans être peintre nous-mêmes, de tracer un trait aussi évocateur que lui, de manier aussi bien les pinceaux. Lorsque nous voyons un musicien, nous savons bien être incapables, sans être musicien nous-mêmes, de faire chanter un instrument. Nous savons cela parfaitement bien.

En revanche, parler, écrire (au sens simple du terme), même raconter une histoire, nous savons que nous sommes tout à fait en mesure de le faire : nous savons toutes et tous, peu ou prou, raconter à des amis ou des collègues ce que nous avons fait la veille ou au cours de nos dernières vacances. Nous savons toutes et tous, peu ou prou, raconter à une copine ou une tante notre dernière passion amoureuse. Chaque jour, nous racontons à table, sur un pas de porte, dans un ascenseur, un récit à peu près structuré.

Et pour cela, nous n’avons besoin ni de pinceau, ni de piano, ni de faire le grand écart. Même si nous considérons que l’histoire n’est pas passionnante — parce que ce qui doit être raconté ne l’est pas forcément —, nous estimons sans nous l’avouer être capable de le faire.

Cette apparente facilité que nous avons — sans forcément nous le dire — à créer une histoire engendre un paradoxe que l’apprenti-auteur doit connaitre et dont il doit mesurer le danger. Oui, l’écriture d’une histoire est facile, on y a accès sans outil, sans instrument, sans vêtement particulier, sans passeport ; mais en vérité, il n’y a rien de plus redoutable que de concevoir et d’écrire un récit correctement, qui pourrait passionner d’autres personnes que son entourage ou les membres des forums d’écriture que l’on fréquente.

Nous espérons que le lecteur-auteur de cette collection saura le percevoir au fil des pages, par les illustrations données, mais surtout grâce à sa pratique personnelle de l’écriture. Il faudra le percevoir et, pourtant, ne rien perdre de sa foi et de sa volonté farouche d’écrire. Car si la conception d’une histoire est redoutable, c’est une discipline qui enrichit toujours celui qui la pratique et c’est une discipline qui demeure accessible à tous, quels que soient son âge, son éducation ou sa position sociale.