La collection Narration

Une étape frustrante mais nécessaire

Attention, vous allez tomber malade ! Vous aurez été prévenu. Si vous suivez scrupuleusement les consignes données dans cet ouvrage, vous allez tomber dans un état qui va vous faire perdre pendant quelque temps la faculté de jouir pleinement des films.

Dans un premier temps, vous ne pourrez vous empêcher de visionner un film sans rechercher l’incident déclencheur, ou le premier pivot, ou la première action de développement. Puis vous guetterez avec angoisse le paiement d’une préparation, vous constaterez un peu fébrile l’exploitation et la victime d’une ironie dramatique. Puis, la maladie empirant, vous chercherez pendant tout un dénouement à savoir en quoi la caractérisation d’un personnage sert l’antithèse du thème abstrait du film… En bref, vous vous rendrez vous-même malade.

C’est du moins tout le mal que l’on vous souhaite.

Et rassurez-vous, cet état est provisoire, ce pour deux raisons. La première, c’est que cette maladie ne touche que ceux qui ont un cœur et des sens. Cette maladie est symptomatique du fait que vous serez bientôt guéri (sic). Peut-être certains spectateurs-auteurs prendront plaisir à développer leur talent d’analyste et continueront ainsi sans troubles, oubliant peu à peu qu’une œuvre n’est pas faite pour être analysée mais pour être vécue, dans tous les sens du terme et par tous les sens que nous possédons. À ceux-là, qui ne se sentiront pas malades, je dirais de renoncer s’ils ne veulent pas gâter leur plaisir de spectateur.

La seconde raison, c’est justement le caractère provisoire de ce malaise. Si vous développez votre sens artistique, si les émotions et les sentiments, si le genre humain et les idées vous passionnent plus que la technique, alors vous guérirez plus ou moins vite et ce travail que vous effectuez deviendra simplement une seconde nature. Vous réconcilierez peu à peu vos deux hémisphères cérébraux, en remettant peu à peu le gauche — celui qui réfléchit, qui rationalise — à sa juste place.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’après avoir cherché à assimiler toutes les notions de façon intellectuelle et pratique, elles n’auront bientôt plus besoin de faire appel à votre intellect, vous pourrez à nouveau profiter pleinement et simplement de la vision du film. En étant plus exigeant peut-être, plus critique certainement, mais avec plaisir et même, en vérité, avec un plaisir décuplé car l’analyse est et doit être aussi un développement des sens et de la perception artistique.

Aussi, donnez-vous un certain temps pour développer votre talent d’analyste sans crainte de vous y perdre d’abord. Ce temps abandonné à la rigueur, aux pensées parasites, il vous sera amplement rendu, dans votre écriture comme dans votre plaisir de spectateur.

Un seul conseil donc, à appliquer matin et soir : ne paniquez pas et laissez tomber la fièvre d’elle-même.