Le Blog de Phil

Article #7

L’Arnaque des “Director’s cuts”

Dans la série On essaie de nous faire gober grand-mère avant d’avoir démontré qu’elle était cuite, il y a la brillante idée du “director’s cut”.

Pour ceux qui l’ignorerait, le “director’s cut”, c’est la version de montage du réalisateur, qui n’est pas toujours de lui en réalité, mais qui en tout cas a reçu son assentiment.

Que se cache-t-il réellement derrière ce “director’s cut” ? Un coup marketing ou une réelle liberté offerte à l’art ? Le monde des marchands dans lequel nous vivons impose en axiome, sans aucune démonstration, que cette version serait meilleure que la version, sale, honteuse, commerciale — ça y est ! j’ai lâché le mot — mais prenons le temps de nous demander si l’on peut légitimement croire que ce montage est meilleur que les autres.

D’abord, commençons par préciser qu’être réalisateur, ça n’est pas être monteur. C’est un autre métier. Un métier radicelement différent, aussi différent que celui de scénariste et de compositeur de musique. Et même si certains, comme Kubrick ou Fellini — pour nommer les plus grands —, excellent dans les deux professions — et bien d’autres dont ils ne sont pas toujours crédités —, la plupart des « directors » ne possèdent pas, de fait, les talents du montage.

Mais d’où vient cette certitude clé-en-main de cette supériorité, de cette suprématie, de ce génie omnipotent du réalisateur ? Elle vient tout simplement de la vision centro-centrée, propre à la vieille Europe et surtout à la France, que le réalisateur est « l’auteur du film » (et le seul auteur du film). Une idée selon laquelle la quintescence d’un film, d’une œuvre cinématographique, serait détenue par une unique et seule personne : le réalisateur.

Les autres continents, qu’ils soient asiatiques ou américains, ont compris depuis toujours, au contraire, que l’œuvre cinématographique était une œuvre collective, et que c’était ce collectif qui conduisait à l’excellence, c’était le talent propre de chaque individu à chaque poste. Ça n’est pas la mono-maniaquerie d’une seule personne, même s’il est vrai qu’en de rares occasions cette mono-maniaquerie peut être remarquable. Mais le cinéma, 7e art où se réunissent des métiers aussi divers que les talents qu’ils requièrent, tire sa force de la collaboration, pas des caprices d’un unique individu, aussi talentueux soit-il.

C’est ce qui explique que les “directors’s cut”, si on les regarde vraiment, ressemblent plus à des lubies de créateur qu’à de véritables œuvres fortes et cohérentes. Elles sont toujours — je ne connais malheureusement aucune exception — trop longues et souffrent des problèmes de rythme et d’enchainement qu’un monteur sensible avait su éviter dans le montage final de la version collective du film.

Aussi est-il indispensable de ne pas prendre pour argent comptant ce qui n’est en réalité qu’une mascarade, et de comprendre que ce fameux director’s cut n’est qu’une manière de plus de nous faire acheter deux fois le même film.

Article #7