La collection Narration

Existence des règles

TODO: Préciser que je mets cette partie ici pour le peu d'importance que la section représente pour moi.

Existe-t-il des recettes ?

Oui : au moins autant que de chefs-d’œuvres… Prenez votre chef-d’œuvre favori, copiez-en tous les ingrédients, tout comme la bonne recette de votre rôti de veau, et reproduisez-le.

Au mieux, si vous parvenez à trouver des sosies exacts des comédiens, si vous possédez tous les talents du réalisateur, vous parviendrez à… une copie exacte du film. Bravo !

La véritable question, encore une fois, consiste plus à se demander s’il existe des “modèles d’histoires” (modèle correspondant ici à l’objet que cherche à produire la modélisation). La réponse est alors “Oui, il existe des modèles d’histoire”. Et ces modèles peuvent aider, dans une certaine mesure, à approfondir sa propre histoire.

Si vous n’êtes pas convaincu de l’existence de ces modèles, vous pouvez jeter un œil à l’introduction de La Dramaturgie (Yves Lavandier, 1994) et un autre à Psychanalyse des contes de fées (Bruno Bettelheim, 1976).

Cependant, il n’existe pas de modèle absolu, et les producteurs ou les scénaristes friands de ce type d’objets pouvant leur assurer succès et gros sous se cassent régulièrement les dents sur les lois impénétrables et mouvante de la (dure) réalité…

Aussi bien, les modèles que je tente de dégager dans ces cours n’ont rien d’absolument rigoureux et il convient toujours, en dernier lieu, d’en saisir l’essence, la fonction, l’origine et le sens plutôt que d’en appliquer scrupuleusement— et donc bêtement — les incarnations.

Disons-le tout net  les recettes prêtes à cuire n’existent pas en matière de conception d’histoire.

De l’existence des règles

Si vous n’êtes pas acquis à l’idée que des règles peuvent régir l’écriture d’une histoire, si vous n’êtes pas acquis à l’idée que ces règles sont des aides plus que des entraves, si vous vous refusez à l’idée que l’art puisse être régi par des règles qui l’apparenterait plus aux mathématiques qu’à l’inspiration divine, si l’existence de lois vous pose quelques angoisses déontologiques, alors la lecture de cet article pourra peut-être vous offrir quelques pistes de réflexion.

Existe-t-il des règles ?

Contrairement à de nombreux ouvrages qui répondent du bout des lèvres à cette question délicate, faisant la démonstration dans une introduction que la règle n’existe pas pour en faire ensuite l’éloge, comme s’il était honteux que l’art, à l’instar de la nature, soit régi par certaines règles immuables (l’homme serait-il plus instruit sur la création que Dieu— si vous y croyez — ou la Nature — si vous ne croyez en rien ), je répondrai sans détour et sans honte  “Oui  les règles existent  Je les ai rencontrées ”.

Le tout, comme dans beaucoup de choses, étant de distinguer le bon grain de l’ivraie.

Dans un premier temps, peut-être serait-il intéressant de savoir où commencent les règles, et où elles finissent. Bien qu’aucune frontière précise ne puisse jamais nous affranchir de la réflexion, nous pouvons essayer de trouver des repères extrêmes qui pourront mettre en relief la riche palette de règles pouvant régir l’écriture et plus précisément la narration.

Voyons donc quelques règles, où je mêle volontairement bon grain et ivraie 

Voilà six règles— et c’en sont bien! — qui selon moi rendent vaine toute dissertation sur leur existence, leur pertinence ou leur à-propos dans l’absolu.

Qui oserait prétendre, par exemple, que la première règle n’est pas incontournable  Que quiconque voudrait l’enfreindre se heurterait à des problèmes techniques lui faisant créer une œuvre certainement originale, mais certainement pas du cinéma  Cette règle de base fait partie du bon grain et elle est appliquée— souvent sans réfléchir — par tous les auteurs confirmés. Les apprentis-auteurs, en revanche, doivent s’y référer le plus souvent possible. Plus qu’une règle, c’est une loi.

La deuxième (dialogues compréhensibles) est elle aussi quasiment indiscutable. En l’outrepassant, l’auteur se risque à perdre totalement le contrôle de ce qu’il voulait créer. Il suffit de voir le plus magnifique des films qui soit dans une langue qui nous est inconnue pour s’en convaincre. On en saisira peut-être le fil rouge, le main stream, mais tout le reste passera à la trappe.

La troisième (ne pas provoquer l’ennui), si elle peut être contournée en restant dans l’art cinématographique, fait plus appel au respect que l’auteur a pour son spectateur, et lui permettra peut-être de vivre de sa passion. C’est pourtant une règle qui, quand on y déroge, peut faire acte de provocation et par là-même, générer de l’art. C’est donc une règle conjecturale.

Avec la quatrième (évolution nécessaire du protagoniste), nous entrons dans une zone encore plus floue. Cette règle est préconisée dans de nombreux cas, et elle doit être appliquée, mais elle trouve nombre d’exceptions. Les films policiers, notamment, où l’on voit un inspecteur poursuivre son enquête sans véritablement évoluer, en sont l’illustration (il convient toutefois de noter que dans la plupart de ces films, le personnage évolue dans le sens où “sa connaissance— de l’affaire —” évolue). À noter également que de plus en plus, sous l’impulsion et l’influence de certains pédagogues tels que Linda Seger, l’évolution du personnage d’une série est de plus en plus considéré comme une nécessité pour tenir dans la durée.

La cinquième règle (tout doit être compris) s’enfonce un peu plus dans notre sphère d’indécision. Même si cela peut être une démarche personnelle de l’auteur, cette règle met trop en jeu le talent du lecteur/spectateur, sa culture, son âge, son état d’esprit pour prétendre qu’elle puisse s’appliquer vraiment. Dans ce cas, plutôt que de “règle”, je préfère parler de “bonne intention”, de “recherche utopique mais non vaine” de l’auteur.

À noter que c’est souvent la quête de l’artiste que de ne pas être incompris… En d’autres termes, l’artiste gagnera toujours à atteindre la plus grande clarté, pour être compris du plus grand nombre. Même s’il laisse, volontairement ou involontairement, des zones d’ombre où chacun peut débattre.

La sixième règle (place de l’incident déclencheur à 8 minutes 30), règle extrême s’il en est, illustre parfaitement l’ivraie qu’il convient de mettre de côté, ou tout au moins d’aborder avec beaucoup de discernement.

Je n’ai pas choisi sans raison l’image de l’ivraie, graminée dont le grain toxique provoque l’ivresse. En effet, l’apprenti-auteur s’enivre souvent trop vite de règles tout juste acquises et qui donnent l’illusion de détenir les secrets de l’alchimie dramatique. La connaissance de ces règles-là est très trompeuse, gare à l’ivresse 

Car si ce type de règles peut provoquer l’euphorie de l’auteur en lui donnant le sentiment qu’il est sur une voie juste, sûre et fertile, il n’en reste pas moins que son extrême rigueur n’engendre qu’une illusion éthylique empêchant l’œuvre d’atteindre son unicité et son caractère propre. De “règle”, nous passons alors à “recette”. Existe-t-il des recettes et sont-elles bonnes  J’y reviendrai.

Moralité

Voilà pourquoi selon moi se poser la question de l’existence ou de l’application des règles, dans l’absolu, est vain. Les règles existent, puisque certaines sont justes.

La vraie question est plutôt  “Quelles sont les bonnes règles, les règles naturelles, sortes de lois dramatiques naturelles et quelles sont les règles artificielles et pernicieuses ” C’est la question que doit se poser en permanence l’apprenti-auteur lorsqu’il entend parler d’une règle.

Et s’il existe des règles justes, naturelles, alors elles peuvent être enseignées.