La collection Narration

Faire lire son projet

Apprendre à écrire, c’est apprendre à écouter

Apprendre à mieux écrire un scénario ou un roman, apprendre à mieux narrer une histoire ou simplement l’améliorer, passe toujours par la lecture que d’autres pourront faire de votre texte. C’est en passant par cette lecture extérieure que l’auteur découvre qu’il n’est pas aussi clair qu’il le pense. Elle est indispensable à son évolution.

Faire lire ses textes est indispensable
à l’évolution de l’auteur.

Cette lecture implique une rencontre auteur-lecteur. Cette rencontre, bien qu’on n’y pense pas de prime abord, est loin d’être facile ou anodine, pour l’auteur bien sûr, mais aussi pour le lecteur.

Ce lecteur, ce peut être une amie, un conjoint, une voisine prof de français, un scénariste croisé sur un forum, un producteur, un membre de sa famille. Quel qu’il soit, l’auteur doit se dire comme préalable que ce lecteur va passer un peu de son temps à l’aider. Ce temps ne doit être ni gâché ni négligé.

La transmission de l’histoire

Avant toutes choses, il est important que l’auteur comprenne que, très souvent, ça n’est pas tant l’histoire en tant que telle qui est en cause dans les critiques qui lui sont adressées que la transmission qui en est faite par le texte. Ce problème n’est malheureusement jamais abordé par le lecteur ou l’auteur, le premier prenant pour argent comptant ce qu’il lit — sans considérer que l’auteur a pu mal l’écrire, oublier des informations, mal les formuler, etc. —, le second, l’auteur, étant sûr qu’il a transmis correctement sur le papier l’histoire qu’il voulait raconter.

Malheureusement, l’expérience confirme qu’il n’en va jamais ainsi. L’histoire lue par le lecteur n’est jamais l’histoire écrite par l’apprenti-auteur. C’est un problème de communication classique qu’il convient de ne pas négliger ni d’écarter.

Car on peut progresser, en tant qu’auteur, en sachant justement mesurer le décalage — parfois vertigineux — entre ce que l’on a voulu écrire et ce que le lecteur a effectivement lu ou compris.

Les bonnes dispositions à adopter

On pourrait croire à première vue que l’auteur qui fait lire son scénario veut progresser en recueillant des impressions. En fait, on s’aperçoit que cela arrive plus rarement qu’on pourrait le penser. Disons-le simplement : l’auteur a surtout envie d’être aimé. Il a surtout envie qu’on aime ce qu’il produit.

Il est donc important, lorsque l’on fait lire son travail, d’en avoir conscience et de bien définir ce que l’on attend, profondément, d’une lecture, sans se voiler la face.

S’il ne le fait pas, l’apprenti-auteur en arrivera rapidement à la conclusion, face aux critiques qu’on lui avancera fatalement, que le lecteur est un imbécile qui n’a rien compris à son chef-d’œuvre… Ou, suivant son degré d’orgueil, il en conclura qu’il n’est pas fait pour l’écriture.

Aucune de ces attitudes n’est saine, ni pour l’artiste, ni pour son œuvre. L’auteur doit essayer, au contraire, de se montrer suffisamment ouvert, réceptif, à l’écoute, pour reconnaitre que le lecteur, quel qu’il soit, soulève rarement des problèmes qui n’existeraient que dans sa tête. Ces problèmes, il les a bien trouvés quelque part, dans ce qu’il a lu.

Aussi convient-il de partir du bon pied et de se mettre dans de bonnes dispositions lorsque l’on affronte ce moment souvent sensible et douloureux de la rencontre avec le lecteur, quel qu’il soit.

Un des principes de base de communication, lorsqu’une incompréhension se révèle entre soi et son interlocuteur, consiste à toujours admettre que cette incompréhension procède d’un manque de clarté venant de soi, plutôt que prétendre ou croire que c’est l’autre qui n’a rien compris — par exemple, si vous ne comprenez pas ce qui est expliqué ici, ce n’est pas votre faculté de compréhension qui sera remise en cause mais la clarté de l’explication.

Aussi, pour se servir de ce bon principe, l’auteur doit toujours essayer de se dire que ce n’est pas le lecteur qui n’a rien entendu à son histoire mais lui qui n’a pas su la mettre en valeur, l’exploiter et surtout : la rendre suffisamment claire, la faire partager ; soit dans sa narration même, soit dans sa présentation ou sa rédaction sur le papier.

C’est en adoptant cette attitude, lors de ces rencontres, que l’apprenti-auteur développera sa capacité à transmettre ses idées.

Le lecteur a toujours raison

Pour y parvenir, l’apprenti-auteur doit admettre tout d’abord — même si la difficulté est proportionnelle à la taille de son égo — que le lecteur a toujours raison.

Le lecteur a toujours raison.

On pourra trouver les détails de cette affirmation sur la page de même nom : Le lecteur a toujours raison.

Parvenir à la bonne attitude

Pour parvenir à ce bon état d’esprit en rencontrant son lecteur, l’auteur doit d’abord essayer d’oublier que son scénario ou son manuscrit est comme son enfant chéri, comme la chair de sa chair. Il ne doit pas éprouver, dès les premières critiques, le besoin épidermique de contrecarrer son lecteur, de se justifier ou pire, de vouloir prouver au lecteur qu’il n’a pas compris… La séance tournerait vite à la joute aussi verbeuse que vaine, où la force de persuasion l’emporterait sur la raison. Même vainqueur, l’apprenti-auteur sortirait dépité de cet affrontement, en ayant peut-être même perdu pour de bon un excellent lecteur.

L’écoute

Au contraire, l’apprenti-auteur doit apprendre à développer cette qualité indispensable aussi bien dans ces séances de rencontre que dans le travail purement narratif — et qu’on aimerait même retrouver plus souvent simplement dans la vie sociale ! — : l’écoute. Car comme le dit le titre de ce document et comme nous allons le voir :

Apprendre à écrire, c’est apprendre à écouter.

Et si ces bonnes intentions ne suffisaient pas, dans ces moments pénibles où l’auteur sent ses nerfs le lâcher alors que le lecteur fait étalage de ses remarques un peu dures, il doit se répéter sept fois cette phrase dans sa tête :

C’est le texte qui doit convaincre,
pas celui qui l’a écrit.

L’écoute consiste à laisser le lecteur exprimer en toute quiétude sa vision et sa compréhension de l’histoire. Il est donc également important de ne pas trop l’orienter ou l’influencer. Cela permet souvent de faire ressortir des points que l’auteur n’avait pas eu conscience de développer et qui permettront peut-être, en les entendant formulés, de pousser plus loin l’histoire ou le propos.

Après avoir défini ces principes de base, voyons comment peut se dérouler dans les grandes lignes une bonne rencontre avec le lecteur.

Une bonne rencontre

Vous avez donné votre manuscrit ou votre scénario à lire à votre lecteur. Vous lui avez laissé le temps dont il avait besoin pour le consulter et l’analyser. Vient le moment de le rencontrer enfin.

Munissez-vous de bonnes résolutions
Pourquoi, pour commencer, ne pas relire les bonnes résolutions présentées ici ?
Munissez-vous d’un bloc-note ou d’un ordinateur portable
La première chose à penser ensuite, c’est d’arriver à son rendez-vous avec le matériel nécessaire. Il ne faut surtout pas venir face à un lecteur les mains dans les poches. Il se demanderait l’importance que vous accordez à cette rencontre.
Il peut être intéressant que vous établissiez avant la rencontre un “plan de lecture” définissant les points par lesquels vous voulez passer, en les définissant du général au particulier. Cela pourra vous servir si votre lecteur ne sait pas comment s’y prendre pour vous transmettre ses commentaires. Faites ce plan pour vous, ne le transmettez pas au lecteur, qui serait alors mis dans une situation trop scolaire.
Donnez-lui rendez-vous dans un lieu calme
Quel que soit le lieu du rendez-vous pour cette rencontre, choisissez-le calme, un endroit où vous ne devrez pas crier pour vous entendre et être dérangé toutes les cinq minutes par des amis ou le téléphone. En parlant de téléphone, mettez le vôtre en veille, quand bien même vous attendriez un coup de fil incroyablement urgent.
Donnez-vous le temps
Ne commencez pas par dire à votre lecteur que vous devez partir une heure plus tard et qu’il ne faut pas trainer. Il doit se sentir à l’aise, pas pressé par le temps.
Demandez au lecteur de vous raconter votre histoire.
C’est la toute première chose à faire : demander à son lecteur de raconter l’histoire, telle qu’il l’a comprise. Vous serez certainement surpris, voire très surpris, de ce que vous entendrez.
Commencez alors par prendre vos premières notes en consignant toutes les divergences entre ce que vous avez voulu faire et ce qu’il a compris. Surtout, n’intervenez pas ! Ne lui expliquez jamais ce que vous avez voulu faire ! Il est trop tôt et vous l’influenceriez de façon néfaste ! Laissez-le raconter à sa guise, demandez-lui simplement de détailler des parties que vous ne comprenez pas.
Guidez votre lecteur
Si vous n’avez pas affaire à un lecteur expérimenté, guidez-le dans ses remarques. Commencez à lui poser des questions d’ordre général, puis amenez-le progressivement à entrer dans le détail. Commencez par le faire parler de l’histoire en général, des personnages en général, de la structure en général, puis amenez-le progressivement à entrer dans le détail du texte.
Tentez de l’empêcher de se lancer tout de suite dans la description de détail. Vous perdriez un temps précieux. Faites bien sûr cela tout en le laissant s’exprimer librement, donc sans trop vous montrer directif.
Il est important, également, de faire comprendre à votre lecteur ce que vous attendez : vous n’espérez pas d’idées de lui, vous attendez ses impressions, ses sentiments, ce qu’il a compris, ce qu’il a ressenti.
S’il se met à vous proposer des idées, tentez, extrêmement poliment, de lui expliquer qu’il empiète sur votre travail et que ce n’est pas ce que vous attendez. N’hésitez pas à relire la page Symptôme, diagnostic et prescription pour bien comprendre ce que vous pouvez attendre d’un lecteur, suivant ses compétences.
Prenez des notes
Pendant tout ce temps, prenez des notes, faites comprendre à votre lecteur que vous faites cas de ce qu’il vous explique, de ce qu’il a ressenti, de ce qu’il a compris.
Soulignez les points sur lesquels vous voulez revenir plus tard, ne les expliquez surtout pas maintenant !
Interrogez-le avec parcimonie
Abstenez-vous au maximum d’intervenir. Ne le faites que si un point vous a semblé incompréhensible dans ce qu’il a dit, et que vous voulez avoir certaines précisions. Ne le faites que pour le lancer sur un nouveau sujet s’il en a terminé un et ne sait pas par quoi continuer. Reprenez le plan de lecture si vous en avez préparé un.
Ici, à nouveau, abstenez-vous d’expliquer quoi que ce soit. Laissez uniquement votre lecteur s’exprimer, en faisant grand cas de ce qu’il exprime, en essayant de vraiment comprendre ce qu’il exprime.
Comprenez bien qu’il y a de fortes chances pour que votre lecteur ne soit pas forcément très à l’aise dans cet exercice. Ne le braquez pas, mettez-le en confiance.
Revenez sur les points, expliquez-vous
Une fois cette longue phase achevée — qui devrait occuper la moitié du temps de rencontre —, remerciez une première fois votre lecteur et demandez-lui si vous pouvez revenir sur certains points.
Reprenez alors les points soulignés, et expliquez-vous, expliquez-lui ce que vous avez cherché à faire.
Dans cette phase, il va s’agir d’essayer de comprendre pourquoi le lecteur a perçu autre chose que ce que vous vouliez faire percevoir. Il a raison, pourquoi a-t-il compris cela ? Est-ce à cause d’une phrase maladroite ? est-ce à cause d’une action dont la nécessité a été mal comprise ? est-ce à cause du personnage dont les motivations sont restées floues ?…
Efforcez-vous, donc, dans cette phase, de diagnostiquer les écueils. Travaillez avec le texte, décortiquez-le avec votre lecteur. Tentez de déceler le plus précisément possible l’origine de la maladie, de l’incompréhension, de la divergence.
Remerciez-le
Bien entendu, quelles que soient les critiques qu’il ait pu formuler, pensez à remercier chaudement votre lecteur pour le temps qu’il a pris à vous lire et le temps qu’il a pris à vous en parler. C’est le minimum. Si vous vous êtes rencontrés dans un bar, devant un verre, réglez l’addition, cela va sans dire.
N’hésitez pas, enfin, à lui demander s’il serait partant pour commenter la prochaine version !

En partant sur ces bases avec chacun de vos lecteurs, vous devriez recueillir un ensemble de remarques et de commentaires d’une valeur inestimable pour la suite du développement du projet — et même pour votre propre talent de raconteur.

Il s’agit maintenant d’en faire la synthèse et de tenter de régler chaque point l’un après l’autre.