Un grand mot pour parler d’une toute petite chose… J’appelle tout simplement CHAMP SUPRA-NARRATIF le champ narratif des choses que le public ignore totalement et dont il ne peut supposer l’existence en lisant ou voyant le récit.
C’est donc, comme nous venons de le voir, tout ce qui n’est ni montré (information objective) ni suggéré (information par inférence) de l’histoire racontée. C’est le moment où les personnages mangent ou dorment alors qu’on ne les voit que courir pendant tout le film. C’est le moment où le personnage se promène dans un parc alors qu’on ne le voit que travailler dans son bureau aveugle.
Si l’on peut se douter que certaines de ces scènes existent fatalement dans la vie du personnage, il en est d’autres dont on ignore vraiment tout.
Notons également que sauf rares exceptions indispensables au récit, lorsque l’on est avec un personnage, on ne sait rien de ce que font les autres personnages, tous les autres personnages, au même moment. Pourtant, force est de penser qu’ils doivent bien agir, exister, vivre, ces autres personnages, même si ça n’est que dans la virtualité de l’histoire.
Si ce champ est encore ignoré, au moment où j’écris ces lignes, de l’investigation des narratologues de tout poil, c’est tout simplement que leur démarche est avant-tout analytique. Ils analysent les récits, donc seulement ce qu’ils peuvent voir ou entendre (champ narratif) ou ce qu’ils peuvent deviner de ce qu’ils voient ou entendent (hors-champ narratif). Le champ supra-narratif, en conséquence, leur reste invisible. Comment analyser quelque chose qui n’existe ni à l’écran, ni sur le papier ? Pourtant, comme nous le verrons, l’invisibilité de ce champ est en réalité toute relative.
Mais alors, pourquoi donc s’intéresser à quelque chose que le public ne verra et ne devinera jamais ? La question est pertinente, la réponse également car si ce champ n’a pas de réalité prégnante dans la réalité du récit, il est loin d’être négligeable dans le développement du projet par l’auteur.