La collection Narration

Le syndrome de Saint-Thomas

Dans la vie, nous sommes habitués aux mensonges. Des petits mensonges sans conséquences souvent, mais des mensonges tout de même. Lorsque nous parlons de nous, nous avons trop l’habitude de surévaluer nos petites victoires et sous-évaluer nos gros défauts. Dans nos relations aux autres, notre recours à l’ironie — qui consiste, rappelons-le, à dire le contraire de la vérité — fausse également notre perception. Sans parler des mensonges admis auxquels on nous habitue dès l’enfance, à commencer par celui concernant l’existence du Père-Noël (nous espérons que cette information ne sera un spoiler pour aucun de nos lecteurs).

Cela nous amène insidieusement, sans même y réfléchir, à vouloir juger des choses par nous-mêmes, à ne croire que ce qui peut être constaté par nos propres yeux.

Nous ne croyons que ce que nous voyons.

Cette expérience de la vie influence bien évidemment notre perception des dialogues dans les histoires. Pourquoi prendrions-nous le dialogue pour parole d’évangile, alors même que nous avons tellement l’habitude de voir les mots être utilisés de biais ?

C’est la raison pour laquelle, sans même qu’on y pense lorsque l’on est spectateur ou lecteur, ce qui sort de la bouche d’un personnage est a priori suspect, a priori sujet à caution.

Un auteur doit avoir toujours en tête ce principe que nous appelons le “syndrome de Saint-Thomas” lorsqu’il écrit ses dialogues. C’est une force qu’il doit prendre en considération et contre laquelle il doit être convaincu de ne rien pouvoir faire. Il doit composer avec elle.

Les perspectives de mensonge

Il convient cependant de remarquer que certaines situations appellent le mensonge alors que d’autres appellent la vérité. Le syndrome de Saint-Thomas ne s’applique pas alors de la même manière et il est important de distinguer l’une de l’autre au moment d’écrire le dialogue, pour mesurer le crédit que l’auditeur pourra accorder à ce qui est affirmé.

Imaginons une mère qui rentre et constate que le niveau des bonbons dans un bocal a baissé. Elle demande à son enfant “Combien en as-tu pris ?” C’est une situation à forte probabilité de mensonge. D’emblée, on peut être sûr que l’enfant mentira. Il répondra “dix” alors qu’il en aura pris vingt.

A contrario, si une mère demande à son enfant “À quelle heure es-tu rentré de l’école, mon chéri ?”, sans autre contexte et autre enjeu, nous pouvons anticiper que l’enfant va répondre la vérité. Pourquoi mentirait-il ?

Un chef interroge son lieutenant sur le nombre qu’étaient les ennemis qui l’ont battu. C’est une question à forte probabilité de mensonge. On anticipe le fait que le lieutenant va minimiser et augmenter du même coup le nombre d’ennemis.

A contrario, si un chef demande à son lieutenant le lieu de sa dernière affectation, sans autre contexte ni autre enjeu, on peut anticiper le fait que le lieutenant donnera une réponse exacte. Pourquoi mentirait-il ?

La vérité vraie

En conclusion, il faut se souvenir que la vérité — en tout cas la vérité directe, exprimée sans inférence — ne doit jamais trop reposer sur le dialogue. Il faut l’éviter absolument, et, pour commencer, éviter d’entendre les personnages dire qui ils sont, dire ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils vont faire, surtout dans les situations à forte probabilité de mensonge.

La vérité ne doit pas trop reposer sur le dialogue.

Et quelle que soit la réplique formulée, il est bon de prendre le réflexe de toujours se demander : “L’auditeur va-t-il croire ce qui est dit sans le voir de ses propres yeux ?”

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