La collection Narration

Les bienfaits de l'analyse

Une pratique empirique

L’analyse de film est une discipline que pratique de façon empirique tout spectateur, qu’il soit simple quidam, scénariste, réalisateur ou romancier. Le film étant un jeu de construction assez bref — plus court qu’un roman en tout cas — et souvent logique, il n’est pas trop difficile de se prêter au jeu des dissections. Le simple fait de parler de ce que l’on a aimé ou de ce que l’on a moins aimé constitue en soi les prémices d’une analyse.

Force est de constater, cependant, que ces analyses ressemblent le plus souvent à des projections personnelles. Si les œuvres artistiques sont faites pour ça, aussi, il ne faut pas se leurrer sur le fait qu’on ne peut prétendre parler véritablement d’une œuvre avec un tant soit peu d’objectivité — pour peu que l’objectivité soit possible — sans un véritable travail d’observation, de collecte des informations, de tri et d’analyse scrupuleuse. Dans le cas contraire, l’expérience montre que le spectateur voit le plus souvent ce qu’il a envie de voir, pas seulement au niveau du détail, mais au niveau de l’histoire elle-même dans sa généralité.

Pour tenter d’y remédier, cet ouvrage consacré à cette pratique voudrait proposer des pistes de réflexion ainsi qu’une méthodologie destinées principalement à l’auteur, qu’il soit de film, de BD ou de roman, afin qu’il puisse s’adonner profitablement et avec joie à cette pratique.

Deux préoccupations pédagogiques guident chaque pas de la conception de cet ouvrage :

Les bonnes raisons pour analyser un film

Tentons de voir quelles bonnes raisons peuvent pousser l’auteur à mieux analyser les œuvres et principalement les films.

Le plaisir

L’analyse de film est — et devrait rester — avant tout un plaisir. Comme le mécanicien passionné désossant le moteur d’une Porsche, l’auteur peut prendre plaisir à démonter un film pour mieux en saisir le génie ou l’art, pour mieux en saisir la complexité et l’intelligence, en bref pour mieux saisir tout ce qui se cache derrière la simplicité apparente de sa présentation physique.

L’enrichissement personnel

D’un autre point de vue, analyser l’œuvre d’un artiste souvent plus expérimenté que soi est aussi important que de produire sa propre œuvre. L’analyse de film est aussi importante, vitale, à l’auteur que le développement de son propre processus créatif, que le développement de son imagination et de son inspiration.

L’analyse et la création sont implicitement liées et il est impossible pour l’auteur voulant connaitre sérieusement son activité d’y échapper. Si l’auteur vient à se professionnaliser — ce qui n’est pas forcément le but suprême de l’écriture —, ce sera aussi par le fait d’être en mesure de partager une passion de l’intérieur avec un autre passionné, à commencer par un réalisateur ou un producteur — oui, il existe des producteurs passionnés.

La compréhension des règles

Pour l’auteur, une des premières raisons qui pourrait le pousser à vouloir analyser devrait être de mieux comprendre ce que les pédagogues verbalisent de façon rationnelle, sans donner d’exemple parfois.

Dans tous les ouvrages destinés à l’écriture, on affirme ainsi que “le conflit est le nerf de la guerre”. Et d’expliquer en quoi ce conflit est important. L’explication est une chose, mais ce qui devrait réellement convaincre et éclairer l’apprenti, c’est de retrouver l’expression de cette affirmation dans tous les films qu’il peut voir — et même, ici, dans tous les romans, dans toutes les BDs, dans tous les récits au sens large.

Un des premiers rôles de l’analyse, au début de sa formation d’auteur, devrait être celui-là. Fournir des illustrations concrètes et convaincre, par la fréquence des occurrences, de la pertinence des affirmations qui sont faites dans les ouvrages pédagogiques, à commencer par celles qui vous semblent douteuses ou discutables.

L’analyse permettra même, le cas échéant, de déceler parmi ces affirmations celles qui peuvent être erronées. C’est ainsi qu’est né le concept de Fondamentales.

En résumé, l’analyse, mieux que toute autre activité, vous permet de valider les connaissances acquises dans les livres ou les ateliers, de les assoir concrètement en votre esprit sans les accepter forcément comme parole d’évangile.

L’utilisation des règles et des lois

L’analyse peut également aider à comprendre comment un auteur se sert des règles, des lois ou des procédés, de façon consciente ou inconsciente, pour concevoir son histoire. Cette analyse permet de saisir la diversité de leurs utilisations, de ne pas les restreindre au champ toujours réducteur des illustrations qui ont pu accompagner leur exposition théorique.

L’analyse permet également de tailler ses propres flèches. Lorsque l’on a vu x fois le même procédé utilisé de la même manière, on peut penser à le développer autrement. On est alors en bonne voie pour apporter sa pierre à l’édifice des ressources narratives.

La contraction du temps

L’entrainement à l’analyse développe également une faculté toute spéciale : celle d’être capable d’embrasser le film dans sa globalité, tel un cliché ou une peinture, d’en garder en tête chaque élément, chaque scène, pendant un temps plus ou moins long — pendant au moins tout le temps du développement.

Plus on analyse et plus on est capable d’appréhender l’histoire de cette manière, comme un instantané dont on peut embrasser toute l’étendue temporelle d’une seule pensée. On a tant et tant sollicité la concentration au cours des nombreuses analyses auxquelles on se sera prêté qu’on sera étonné de la prodigieuse mémoire vive de son récepteur intérieur. Avec l’habitude, sans s’être crispé pendant la projection, on est surpris de pouvoir parler de la toute première scène que le spectateur/lecteur lambda aura oubliée, lui, depuis longtemps.

On atteint alors une perception proche de celle de l’auteur qui, quand il travaille sur son œuvre, en a une parfaite vision d’ensemble — ou devrait l’avoir. On est alors capable de mettre des éléments même très éloignés en relation, en vibration, en résonance ; on est alors capable de comprendre les grandes implications de l’histoire, de mieux sentir le rythme, les rythmes, les juxtapositions ou les contrastes. Et cela autant à un niveau conceptuel ou intellectuel qu’émotionnel. En bref, son appréhension est plus riche, plus dense, plus en accord avec ce que l’auteur a voulu faire passer ou provoquer.

L’originalité

Trivialement, l’analyse permet également de ne pas refaire ce qui a déjà été fait.

Mieux encore, elle permet de relever, parfois, une idée avortée ou mal traitée — selon vous —, qui pousse ou donne l’envie de la traiter d’une autre manière, d’en révéler tout le sel et tout l’intérêt. Mozart était passé maitre en la matière, qui pillait jusqu’à son bon ami et professeur Joseph Haydn pour écrire ses plus belles pages de musique. Dans ce cas, l’analyse permet de relever cette idée avortée, d’en comprendre les écueils et d’y remédier ou d’en montrer tout le potentiel.

Sa propre histoire

Bien sûr, n’oublions pas que l’analyse d’histoires permet également de mieux analyser l’histoire la plus importante peut-être : celle que l’on est en train d’écrire ! Cela n’est peut-être pas une injection rigoureuse, mais on peut tout de même affirmer que plus on développe harmonieusement sa capacité à comprendre le travail d’autrui et plus on est capable en retour d’analyser et de comprendre le sien.

La vérité

Enfin, si l’on adopte une démarche harmonieuse et ouverte, à force d’analyses on devient plus à même de se rapprocher non seulement du sens des œuvres, de leur vérité, mais également de leur créateur. On peut alors s’en approcher jusqu’au point de sentir, parfois, leur propre cœur battre au travers de leur film.