Le Blog de Phil

Article #3

Les mille et une astuces du producteur pour ne pas vous payer

Bienvenue dans la vraie vie, scénaristes ! Bienvenue dans le vrai monde des auteurs ! Au cas où, laissez-moi vous rappeler cette loi du métier qui veut que lorsque vous travaillez pour un producteur — votre patron naturel —, celui-ci va tout faire pour obtenir de vous un travail sans jamais le payer.

Comment ? En vérité, il n’a pas besoin d’user de mille et une astuces pour accomplir ce prodige qui défie toutes les codes du travail, une seule lui suffit : les belles promesses.

En effet, avec un auteur, les belles promesses suffisent. L’auteur, même expérimenté, reste d’une naïveté fantastique. L’auteur est un grand rêveur pas très intelligent, le producteur le sait et sait en tirer profit. Il sait le faire rêver, le bercer d’illusions, le charmer de belles promesses. Et des promesses, il en a tout un arsenal.

Il ne peut pas payer l’auteur aujourd’hui, mais dès que le projet sera accepté par les chaines, l’auteur sera évidemment aussitôt remboursé de ses efforts, avec une petite rallonge en sus ! Et le producteur d’assurer l’auteur que cette acceptation par les chaines sera pure formalité, son projet est tellement extraordinaire ! L’auteur, ce grand naïf certain de son génie, boit ses paroles.

Et bien entendu, ça n’est que le début d’une longue, très longue, aventure ! Parce que l’auteur est tellement talentueux — le producteur ne cesse de lui répéter… —, cette aventure ne pourra s’achever sans passer par Cannes ou Hollywood. Et l’auteur, ce grand naïf qui n’a jamais lu “Le Corbeau et le renard”, savoure sa chance, certain d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui le comprenait et mesurait son incroyable potentiel.

Pour ajouter une couche de rêve, le producteur va tout faire pour “copiner” avec l’auteur. Il va tout faire pour devenir son ami, pour déplacer la relation du plan des affaires vers le plan de l’affect. Et l’auteur, ce grand naïf sensible, ne peut que se flatter de cette relation qu’il croit privilégiée.

Malheureusement, le projet ne se signe pas — ce qui est le destin naturel d’un projet, il faut le savoir —  et l’auteur a travaillé pour des prunes. Non, même pas pour des prunes : pour rien. Dans le meilleur des cas, le producteur rassure son ami l’auteur en invoquant les lois du marché, la météo et l’âge du capitaine. Dans le pire, il a tout bonnement perdu le numéro de téléphone de l’auteur et se trouve toujours en réunion…

Mais tentons de prendre de la hauteur et de comprendre comment fonctionne un producteur.

Un producteur — particulièrement à la TV française — est un petit homme généralement assez laid qui doit régulièrement se présenter devant ses maitres, les diffuseurs, avec un certain nombre de projets en main — nous allons dire une x-itude de projets, dans l’espoir de lui en vendre au moins un.

Pourquoi x projets ? Pour une raison très simple : le diffuseur ne s’y connaissant pas plus que le producteur en matière d’histoire et de succès, son choix relève de la chance, de l’humeur du moment, du dernier score d’audimat et de son état stomacal. Pour augmenter ses chances, c’est statistique, le producteur n’a d’autres moyens que d’arriver avec ses x projets. En serrant les fesses, si le miracle se produit, un projet parmi les x recevra peut-être l’assentiment de ses maitres.

Rewind.

Avant de se retrouver face aux chaines, le producteur se trouve donc devant cette problématique simple : il doit parvenir à obtenir ses x projets — dont la majorité, il le sait, ne verront jamais le jour — et cela sans dépenser un seul centime d’euro. Comment, d’ailleurs, pourrait-il dépenser un seul centime puisque c’est bien connu : un producteur n’a jamais d’argent.

Mais le monde étant merveilleusement pensé, les auteurs sont là, tout autour du producteur, avec leurs grands rêves, leur grande naïveté et leur grand besoin d’affection.

Le producteur n’a plus qu’à les faire rêver. Et le tour est joué.

Moralité, jeunes auteurs, si vous ne voulez pas vous nourrir de belles promesses, apprenez le plus tôt possible à rester sourd aux sirènes des producteurs. Un producteur ne sera jamais votre ami et tout travail mérite salaire. Rappelez-lui au besoin, faite-lui comprendre que s’il doit obtenir de vous un travail, vous ne survivrez pas de ses belles louanges. S’il croit vraiment en vous, alors il doit être capable de faire un geste.

Article #3